BM 178-1 2020

La relecture des textes et de la documentation ancienne opérée à l’occasion du récent Congrès archéologique de Haute-Vienne a attiré l’attention sur l’importance pour les débuts de l’architecture romane du chevet de Saint-Martial de Limoges édifié entre 1018 et 1028. Les puissantes substructures mises au jour lors des fouilles de 2014-2016 ont par ailleurs révélé l’ambition exceptionnelle du projet architectural et la qualité des techniques de construction. Les diverses modifications apportées au parti primitif au cours des années 1040-1050 révèlent le dynamisme d’un chantier expérimental, à la pointe de l’innovation artistique et technique. C’était donc le moment, à l’occasion du millénaire de la mise en chantier l’abbatiale, de lui donner la place historique qui est la sienne, à la lumière des recherches actuelles sur les débuts de l’architecture romane. L’arrivée des clunisiens en 1062 et la mise en service du chœur monastique en 1063 ont marqué la limite du champ chronologique de l’étude, menée de manière comparative.

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Bulletin monumental, t. 178-1 ISBN : 978-2-901837-82-4
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Bulletin monumental 178-1 : Sommaire

Articles

- Saint-Martial de Limoges. Célébrer le millénaire de l’abbatiale romane 1018-2018, par Pascal Texier

- Saint-Martial de Limoges, l’abbatiale du Sauveur. Le chevet roman d’après les textes et la documentation graphique, par Éliane Vergnolle

- Le monastère de Saint-Martial de Limoges avant l’arrivée des clunisiens en 1063, par Stéphane Lafaye

- Saint-Martial de Limoges. L’apport des fouilles à la connaissance de l’abbatiale du Sauveur, par Xavier Lhermite et Angélique Marty

- Adémar de Chabannes et l’apostolicité de saint Martial : pèlerinage, liturgie et architecture à l’approche du millénaire de la passion, par Richard Landes

- Le clocher-porche de Saint-Martial : un écho ou un prélude à l’entreprise du chevet ?, par Claude Andrault-Schmitt

- Techniques constructives du XIe siècle. L’exemple du Val de Loire, par Daniel Prigent

- Les premiers chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes en Francie occidentale. Méthode d’analyse d’un type architectural, par Pierre Martin

- Le chevet de Saint-Eusice à Selles-sur-Cher. Architecture et programme sculpté, par Deborah Kahn

- Saint-Martial de Limoges. Les chapiteaux corinthiens provenant de l’abbatiale romane, par Évelyne Proust

- Les tribunes de chevet dans l’architecture romane du début du XIe siècle, par Éliane Vergnolle

- Les fantômes de Saint-Martial dans l’architecture romane en Limousin, par Éric Sparhubert

- Recherches sur les origines du chevet de Saint-Sernin de Toulouse, par Quitterie Cazes

- Saint-Martial de Limoges, millénaire de l’abbatiale romane : conclusions, par Claude Andrault-Schmitt

- Saint-Martial de Limoges. Bibliographie

Actualité

Tarn-et-Garonne. Moissac. Le beffroi de l’abbatiale Saint-Pierre  ; nouvelles données sous l’éclairage de la dendrochronologie (Gilles Séraphin et Yannick Le Digol)

Vendée. Foussais. La maison de François Laurens, une demeure patricienne du milieu du XVIe siècle (Alain Delaval)

Vienne. Poitiers. État des recherches en cours sur le palais des comtes (Bénédicte Fillion-Braguet)

Chronique

Architecture religieuse. XIe-XVe siècle. Architecture et sculptures des églises romanes du Lavedan et du Pays Tòy (Hautes-Pyrénées) [Nelly Pousthomis-Dalle]. — Cathédrale de Strasbourg : le cas des voûtes flamboyantes (Pierre Sesmat). — La collégiale Notre-Dame de Saint-Omer (Pas-de-Calais) : nouvelles approches (Camille Bayaert)

Castellologie. IXe, XIIIe et XIVe siècle. Nouvelles perspectives sur deux édifices royaux disparus : la fontaine de Dédale à Châteauneuf-sur-Loire et la grande salle de Montargis, chefs-d’œuvre méconnus de Philippe le Hardi et Philippe le Bel (Denis Hayot). — Château de Brancion : l’histoire du site castral à la lumière de nouvelles découvertes archéologiques (Saône-et-Loire) [Denis Hayot]

Versailles. La chapelle royale de Versailles et ses lieux dérobés (Vivien Richard)

Notre-Dame de Paris. Vitraux. Les douze vitraux modernes à la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1935 (Auriane Gotrand)

Cartons de tapisserie. XVIe siècle. De l’importance des cartons de tapisserie : le cas du Martyre de saint Paul des Musées de la Ville de Bruxelles (Nicole de Reyniès)

Bibliographie

Histoire de l’art. Emmanuel Lurin et Delphine Morana Burlot (dir.), L’artiste et l’antiquaire. L’étude de l’antique et son imaginaire à l’époque moderne (Marie Piccoli-Wentzo)

Châteaux. Jean Mesqui et Maxime Goepp, Le Crac des Chevaliers (Syrie). Histoire et architecture (Denis Hayot). — Philippe Durand, Les châteaux de la baronnie de Montmorillon. Reconstruction castrale et modèles royaux et princiers à la fin du Moyen Âge (Denis Hayot). — Nicolas Faucherre, Delphine Gautier et Hervé Mouillebouche (dir.), Le nomadisme châtelain, IXe-XVIIe siècle (Julien Noblet)

Villes. Atlas historiques des villes de France (AHVF), Plan historique et 2 t. (t. 1, Notice générale  ; t. 2, Sites et Monuments), Agen ; Mont-de-Marsan ; Périgueux ; Bayonne [Pierre Garrigou Grandchamp]. — Laurence Brissaud, avec les contributions de Marc Guyon, Catherine Lavier et Jean-Luc Prisset, Le franchissement du fleuve à Vienne (Jean Mesqui). — Béziers, hôtels particuliers & demeures remarquables. Des racines, des pierres et des hommes. Histoire d’une évolution urbaine (P. Garrigou Grandchamp). — Nick Holder, The Friaries of Medieval London. From Foundation to Dissolution (P. Garrigou Grandchamp)

Sculpture médiévale. Ludovic Nys et Benoît Van den Bossche (dir.), Sculpture gothique aux confins septentrionaux du royaume de France (Iliana Kasarska)

Vitraux. Elena Kosina, Die mittelalterlichen Glasmalereien in Niedersachsen, ohne Lüneburg und die Heideklöster (Brigitte Kurmann-Schwarz)

Livres reçus. La Sauvegarde de l’Art français. Aide aux églises rurales. Cahier 27. — Dominique Allios, Les métamorphoses de l’art roman. La Basse-Auvergne (France) du XIXe siècle à nos jours

Résumés analytiques

Pascal Texier, Saint-Martial de Limoges. Célébrer le millénaire de l’abbatiale romane 1018-2028

S’ajoutant aux diverses fouilles entreprises depuis les années soixante, les récentes investigations conduites sur l’emplacement de l’ancienne abbaye de Saint-Martial de Limoges ont révélé des vestiges d’une ampleur et d’un intérêt archéologique majeur. Il importait d’en dresser un premier bilan, en espérant que les autorités responsables du projet d’aménagement du site sauront le prendre en compte pour réaliser une mise en valeur digne du lieu et de son histoire.

Éliane Vergnolle, Saint-Martial de Limoges, l’abbatiale du Sauveur. Le chevet roman d’après les textes et la documentation graphique

La disparition de l’abbatiale romane du Sauveur, entre 1791 et 1807, nous prive de l’un de monuments majeurs du XIe siècle. Divers textes nous renseignent cependant sur l’histoire de sa construction tandis qu’un remarquable ensemble de plans et de dessins du XVIIIe siècle permet de restituer les grandes lignes de son parti architectural. La connaissance du monument a été renouvelée par les fouilles qui, en 2014-2016, ont révélé les substructures du chevet à déambulatoire et chapelles rayonnantes entrepris en 1017-1018 et dédicacé en 1028. Une lecture entrecroisée de la documentation graphique et des textes conduit à penser que l’incendie survenu en 1043 fut suivi par une grande campagne de rénovation des parties orientales, campagne qui s’acheva en 1063 avec la mise en place de la table d’autel de marbre blanc commandée par l’abbé Odolric (1025-1040). Sans doute les trois travées orientales de la nef – occupées par le chœur liturgique – étaient-elles achevées à cette date. Le chantier de la nef fut achevé par l’abbé clunisien Adémar de Laurière (1063-1114), qui fit également réaliser un ensemble de peintures murales. En revanche, aucun texte ne nous renseigne sur la construction de la tour-porche qui s’élevait à l’entrée de l’abbatiale, connue seulement par la documentation graphique ancienne.

Stéphane Lafaye, Le monastère de Saint-Martial de Limoges avant l’arrivée des clunisiens en 1063

Dans la première moitié du xie siècle, l’histoire de l’abbaye Saint-Martial de Limoges est essentiellement connue grâce aux écrits d’Adémar de Chabannes. Pour ce dernier, de bons et de mauvais abbés se sont succédé sans pour autant empêcher la communauté de se développer autour des reliques de saint Martial. Les moines, gardiens de son tombeau, décidèrent à partir de 1017-1018 de bâtir une nouvelle basilique puis, dans la continuité de cet acte, de développer le culte de saint Martial, futur apôtre, durant la décennie suivante. Trente ans plus tard, les moines de Cluny auraient hérité de la grande et puissante abbaye limousine. Cette vision purement monastique, relayée par l’historiographie, est loin d’être satisfaisante pour saisir toutes les motivations qui ont suscité la construction d’une nouvelle basilique à Saint-Martial de Limoges. Une relecture des sources écrites à notre disposition devrait permettre de replacer plus précisément ce chantier dans le contexte politique et religieux du duché d’Aquitaine, afin d’essayer d’en comprendre plus explicitement les différents motifs.

Xavier Lhermite et Angélique Marty, Saint-Martial de Limoges. L’apport des fouilles à la connaissance de l’abbatiale du Sauveur

Faisant suite à des sondages effectués en 2014, une fouille archéologique programmée a été réalisée sur le site de Saint-Martial de Limoges en 2015 et 2016. Cette opération avait pour but la mise au jour des vestiges de l’abbatiale du Sauveur en vue de leur possible mise en valeur.
Les fouilles ont révélé l’église du haut Moyen Âge dont aucun élément n’avait été perçu jusqu’alors. En dépit d’une conservation très partielle de ces premiers états de l’abbatiale, ils soulèvent, tant par leur ancienneté que par leur qualité, de très nombreuses questions notamment sur les débuts de l’établissement religieux et sur une possible action des souverains carolingiens.
La redécouverte de la grande abbatiale romane était attendue mais la mise au jour des vestiges a révélé tout à la fois la grande qualité du dessin du chevet et une mise en œuvre excessivement soignée des murs de fondation, parfaitement parementés sur plusieurs mètres de haut. Elle a permis aussi de s’interroger sur l’édifice qui, tant dans son plan que dans ses dispositions, apparaît largement tributaire des édifices préexistants.

Richard Landes, Adémar de Chabannes et l’apostolicité de saint Martial : pèlerinage, liturgie et architecture à l’approche du millénaire de la Passion

Cet essai explore un courant chrétien d’enthousiasme populaire et le rôle qu’il aurait joué dans la construction de la nouvelle abbatiale du Sauveur à Saint-Martial de Limoges au cours de la décennie 1020. Les manifestations primaires de cette religiosité étaient les assemblées de paix (années 990-1030), les foules de pèlerins accourant sur les chemins, l’instauration ou la réactivation du culte de saints et des liturgies afférentes et, enfin, les «  hérésies  » iconoclastes qui se répandirent parmi les gens du commun, rejetant l’église et ses liturgies. À Limoges, le culte de saint Martial éclata en 994 lors d’une assemblée de paix, et dès lors, des vagues de pèlerins affluèrent chaque année pendant le Carême. En 1018, la foule fut piétinée à mort, événement qui, selon Adémar de Chabannes, renforça les courants anti-ecclésiastiques. C’est dans ce creuset qu’à Limoges, dans les années 20 du nouveau siècle, fut mise en chantier une nouvelle église maiori amplitude, dont le plan était conçu pour l’accueil des pèlerins. Cette nouvelle architecture autorisait aux laïcs, aux gens du peuple, hommes et femmes, un accès jusqu’alors sans précèdent. C’était une nouvelle ère qui s’ouvrait pour les pèlerins, les églises de pèlerinage, et bien d’autres courants religieux, économiques, sociaux, et intellectuels.

Claude Andrault-Schmitt, Le clocher-porche : un écho ou un prélude à l’entreprise du chevet  ?

Le clocher-porche de l’abbatiale romane de Saint-Martial est une structure que n’ont permis de retrouver ni les fouilles programmées ni les sondages archéologiques. La lecture de l’iconographie ancienne ne peut donc être renouvelée. Toutefois, le colloque donne l’occasion de poser à nouveau les principales questions, notamment à la lumière de nos certitudes nouvelles concernant le grand chantier du début du XIe siècle et les stratégies constructives. Chevet à déambulatoire et clocher occidental ont-ils augmenté l’église carolingienne à ses deux extrémités, comme ce fut bien souvent le cas  ? Il faut rappeler que si la forme à déambulatoire et chapelles rayonnantes n’est pas inusitée en Limousin à cette époque, celle des clochers-porches ne l’était pas non plus, comme en témoigne la précocité du chantier d’Évaux (Creuse).

Daniel Prigent, Techniques constructives du XIe siècle. L’exemple du Val de Loire

Depuis le milieu des années 1980, à la suite d’études approfondies de bâtiments romans, parfois accompagnées de datations objectives, le nombre d’édifices aujourd’hui attribuables au xie siècle s’est significativement accru en Val de Loire. Parmi les caractéristiques maintenant mieux prises en compte, celles relatives à la mise en œuvre des matériaux ont permis de préciser certains aspects de l’évolution des techniques de construction. Dans le prolongement des pratiques antérieures, l’appareil en moellons est dominant au début du siècle. Ces moellons, régulièrement assisés et pour l’essentiel de gabarits homogènes, sont progressivement remplacés par des éléments de volumes hétérogènes. D’autres types d’appareils moins représentés (décoratif, composé, mixte, etc.) continuent aussi à être employés.
Mais le XIe siècle voit surtout un ample développement de la pierre de taille de moyen appareil, parfois associée dans les premières décennies à l’appareil régulier de moellons de gabarit homogène. La pierre de taille adopte, à la suite de quelques exemples précurseurs des IXe et Xe siècles, une véritable standardisation des hauteurs, entraînant une amélioration sensible du fonctionnement du chantier de construction. Les longueurs suivent quant à elles une distribution unimodale, mais parfois bimodale. Le dressage au marteau taillant droit, grossier, souvent irrégulier, évolue dans les dernières décennies en un traitement plus soigné.

Pierre Martin, Les premiers chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes en Francie occidentale. Méthodes d’analyse d’un type architectural

Comme celle de beaucoup de grands chevets à déambulatoire et chapelles rayonnantes, la datation de la basilique du Sauveur à Saint-Martial de Limoges a été l’objet de controverses liées soit à une corrélation quelque peu mécanique entre les sources écrites et les vestiges, soit à une lecture évolutionniste de l’histoire des formes.
La reprise de ce dossier passait nécessairement par une nouvelle – et véritable – analyse archéologique basée sur une lecture complète et diachronique des dispositions exactes de la construction qui, jusqu’à une date récente, étaient encore relativement mal connues.
L’exemple que constitue le chevet de Saint-Martial illustre ainsi les problèmes méthodologiques posés par des œuvres trop longtemps appréhendées par le biais d’un discours théorique et décontextualisé. Toutefois, les comparaisons qui peuvent être développées au travers du vaste territoire qualifié de France moyenne tant du point de vue historique, formel que technique montrent combien il est nécessaire aujourd’hui de reconsidérer les premières décennies du XIe siècle en termes d’innovation architecturale et de construction.

Deborah Kahn, Le chevet de Saint-Eusice à Selles-sur-Cher. Architecture et programme sculpté

Il y a maintenant un certain nombre d’années qu’Éliane Vergnolle a attiré l’attention sur Saint-Eusice de Selles-sur-Cher et montrer les liens de son décor sculpté avec celui de la tour-porche de Saint-Benoît-sur-Loire. Sa datation de Selles dans la première moitié du XIe siècle, fondée sur des critères stylistiques, est confirmée par l’introduction de chanoines en 1020 et la rédaction entre 1000 et 1020 d’une nouvelle vie de saint Eusice (dont le corps reposait dans la crypte).
Avec sa vaste nef, son transept très débordant et son déambulatoire ceinturé de trois chapelle rayonnantes, l’église du XIe siècle reste un monument prestigieux, en dépit des dommages qu’elle a subis au cours des siècles et une restauration drastique du XIXe siècle. L’élément le plus remarquable est la frise narrative composée de plus de 35 panneaux sculptés qui, à l’extérieur du déambulatoire, illustre des épisodes de la vie de saint Eusice organisés sans souci d’ordre chronologique et transforme le chevet en un reliquaire géant.
Les relations visuelles entre les sculptures de Selles et le carnet de modèles d’Adémar de Chabannes sont particulièrement instructives. Elles permettent d’entrevoir le mécanisme qui conduisit à la renaissance de la sculpture monumentale dans la France moyenne. Elles montrent notamment comment des modèles graphiques ont pu servir d’outil de transmission entre les bibliothèques monastiques, les trésors ou les vestiges de l’Antiquité romaine et la sculpture monumentale à ses débuts. Les recueils de croquis ont ainsi fourni un réservoir de modèles pour certaines postures des personnages, leurs proportions, l’articulation de leurs membres et leurs relations mais aussi le modelé ou le dessin des motifs végétaux.

Évelyne Proust, Saint-Martial de Limoges. Les chapiteaux corinthiens provenant de l’abbatiale romane

Les récentes fouilles archéologiques sur le site de l’abbatiale qui ont révélé, en grande partie, le chevet et le transept de l’édifice conduisent à réexaminer les vestiges erratiques de son décor sculpté, aujourd’hui conservés au musée des Beaux-Arts de Limoges.
Les grands chapiteaux corinthiens, éléments de prestige uniques en Limousin, semblent notamment susceptibles de provenir des parties orientales. À la lumière de la précocité que suggèrent les vestiges architecturaux retrouvés, il est nécessaire d’affiner la datation de la sculpture que j’avais proposé lors du colloque de 2005.
Au-delà, il convient d’examiner à nouveau ces corbeilles afin d’observer comment le schéma antique – par l’intermédiaire sans doute des adaptations ligériennes et poitevines – a été traduit dans le granite. Ce sera l’occasion de proposer des hypothèses sur le cheminement des modèles et de les rapporter à celui du parti architectural.

Éliane Vergnolle, Les tribunes de chevet dans l’architecture romane du début du XIe siècle

La coupe longitudinale et la vue du sanctuaire réalisées en 1726 pour Montfaucon montrent l’existence dans l’abside d’une élévation à trois niveaux. La comparaison avec des monuments plus tardifs – Sainte-Foy de Conques et Saint-Sernin de Toulouse – permet d’identifier le niveau médian comme un niveau de tribunes. La recherche des antécédents de ce type de solution est plus délicate, compte tenu de la disparition de possibles jalons, comme Saint-Martin de Tours ou la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans, connus seulement par des fouilles partielles. Il apparaît cependant que plusieurs chevets à déambulatoire du début du XIe siècle, conservés en élévation et situés dans des régions très éloignées les unes des autres, possédaient une abside ceinte de tribunes : Sant Pere de Rodes en Catalogne, Landévennec et Loctudy en Bretagne occidentale, la cathédrale d’Ivrée en Italie du Nord. Au-delà de possibles raisons fonctionnelles, il convient donc de s’interroger sur la valeur iconographique du parti architectural : ces chevets à déambulatoire ne renverraient-ils pas à l’image du Saint-Sépulcre, dont la destruction en 1009 causa un grand émoi en Occident  ? L’hypothèse prend tout son sens dans le contexte de l’essor général des pèlerinages à Jérusalem et, plus particulièrement à Limoges, dans le cadre d’un projet de basilique «  apostolique  ».

Éric Sparhubert, Les  fantômes de Saint-Martial dans l’architecture romane en Limousin

Le renouvellement des questionnements sur l’abbatiale romane de Saint-Martial de Limoges depuis une dizaine d’années, les fouilles archéologiques sur le site et, d’une manière plus générale, les travaux récents sur l’architecture romane en Limousin invitent à reconsidérer la place qu’occupe l’édifice dans l’architecture de sa région. Si son parti monumental à tribunes n’a localement pas reçu d’écho, les chevets de plusieurs grands édifices de celle-ci montrent des choix d’élévation originaux, parfois associés à un système de contrebutement par un demi-berceau, dont le modèle pourrait bien être Saint-Martial. En outre, pour exceptionnel qu’ait été le programme de construction du chevet à déambulatoire dans les années 1020, celui-ci ne semble pas avoir été isolé en Limousin soit en raison de chantiers parallèles (la cathédrale Saint-Étienne de Limoges, Saint-Pierre d’Uzerche), soit parce qu’il a pu inspirer des chantiers tels que celui de Toulx-Sainte-Croix ou encore, au XIIe siècle, celui de Saint-Léonard-de-Noblat. Si ces exemples permettent d’entériner une restitution de l’élévation du chevet de l’abbatiale du Sauveur, ils amènent aussi, et surtout, à réfléchir sur les processus de diffusion, de réception et de réinterprétation de ce modèle monumental.

Quitterie Cazes, Recherches sur les origines du chevet de Saint-Sernin de Toulouse

La comparaison précise des plans de Sainte-Foy de Conques et de Saint-Sernin de Toulouse permet de mettre en évidence comment l’architecte du second édifice a pu prendre modèle sur le premier. Il apparaît que les plans sont superposables, mais par parties seulement : l’architecte a pris des mesures de certains éléments (travées, piliers, rond-point du chœur, etc.), et probablement un schéma d’assemblage du tout. Ces constatations invitent à regarder de plus près s’il est possible d’établir des liens de même type entre ces deux églises et, d’une part, les tout premiers édifices à déambulatoire et chapelles rayonnantes comme Saint-Martin de Tours ou Saint-Martial de Limoges, d’autre part les églises postérieures au premier rang desquelles Saint-Jacques-de-Compostelle. La première analyse faite dans cet article, uniquement sur la base de plans, montre l’existence de constantes qu’il conviendrait d’explorer plus avant car elles peuvent nous renseigner sur le mode opératoire des architectes de l’époque romane.

English Summaries

(Traduction de Patricia Stirnemann)

Pascal Texier, Saint-Martial de Limoges. Celebrating the millennium of the Romanesque abbey church 1018-2028

In addition to the various excavations undertaken since the 1960s, recent investigations carried out on the site of the former abbey of Saint-Martial de Limoges have brought to light substantial remains of major archaeological interest. It was important to give an initial assessment, trusting that the authorities responsible for the site’s development project will be able to use this material for a valorization worthy of the site and its history.

Éliane Vergnolle, Saint-Martial de Limoges, the abbey church of the Saviour. The Romanesque chevet according to textual and graphic documentation

The Romanesque abbey church of the Saviour was destroyed between 1791 and 1807. We have thus lost one of the major monuments of the 11th century. However, various texts document the history of the building and a remarkable collection of 18th-century plans and drawings allow us to reconstruct the main lines of its architecture. What is more, knowledge of the monument has been renewed by the excavations of 2014-2016, which revealed the underlying structures of the ambulatory and radiating chapels, begun in 1017-1018 and dedicated in 1028. Study of the graphic evidence and the texts suggests that a fire in 1043 was followed by a major restoration campaign on the eastern parts of the building, a campaign which was completed in 1063 with the setting up of the white marble altar table, a commission of abbot Odolric (1025-1040). The three eastern bays of the nave were undoubtedly complete at this date. The work on the nave was completed by the Cluniac abbot, Adémar de Laurière (1063-1114) and it was he who was also responsible for an ensemble of wall paintings. On the other hand, we have no text to document the building of the tower porch at the entrance to the abbey church. It is only known from the early graphic evidence.

Stéphane Lafaye, The monastery of Saint-Martial de Limoges before the arrival of the Cluniac monks in 1063

In the first half of the 11th century, the history of the Abbey of Saint-Martial of Limoges is mainly known thanks to the writings of Ademar of Chabannes. For the latter, good and bad abbots succeeded each other without preventing the community’s development around the relics of Saint Martial. The monks, guardians of his tomb, decided from 1017-1018 to build a new basilica and in the next decade, as a continuation of this act, to develop the cult of Saint Martial, the future apostle. Thirty years later, the monks of Cluny inherited the large and powerful Limousine abbey. This purely monastic vision, relayed by historiography, is far from satisfactory if we wish to grasp all the motivations that led to the construction of a new basilica at Saint-Martial of Limoges. A rereading of the written sources at our disposal should make it possible to place the site more precisely in the political and religious context of the Duchy of Aquitaine, and to understand more explicitly the different motives at play.

Xavier Lhermite and Angélique Marty, Saint-Martial de Limoges. The contribution of the excavation to our knowledge of the abbey church of the Saviour

Following surveys carried out in 2014, an archaeological research programme was undertaken on the Saint-Martial site in 2015 and 2016. The excavation sought to discover vestiges of the abbey church that could be used in a valorization of the site.
The investigations revealed a previously unknown early medieval church. Despite the very partial state of conservation of the first phases of the abbey, their early date and quality raise questions about the origins of the religious institution and about the possible part played by the Carolingian sovereigns in its development.
The rediscovery of the great Romanesque abbey church of the Saviour was fully expected, but the vestiges brought to light both the quality of the design of the chevet and the extremely careful preparation of the foundation walls, with a fine revetment several meters high. It also opened up new questions about the plan and disposition of the edifice, which is largely tributary to pre-existing buildings.

Richard Landes, Ademar of Chabannes and the Apostolicity of Saint Martial : Pilgrimage, Liturgy and Architecture at the Approach of the Millennium of the Passion

This essay explores the role that a strain of enthusiastic Christianity among commoners played as a cause of the planning and building of the new basilica of Saint-Martial in Limoges in the 1020s. It examines the primary manifestations of this religious ferver : the peace assemblies (990s-1030s), the rapid rise of pilgrims on long journeys, the new/resurrected relic cults and their liturgies, and the iconoclastic “heresies” among lay persons who reject the church and its liturgies. In Limoges, the cult of Saint Martial was launched at the regional Peace assembly of 994 and led to annual waves of pilgrims to Saint-Martial during Lent. In 1018 the waves became a deadly crush, reinforcing anti-ecclesiastical sentiments among the laity. This then was the historical context in Limoges in the 1020s when the decision to rebuild the church maiore amplitudine was made according to a plan that accommodated the reception of the pilgrims. The plan, the pilgrimage church, accorded the common lay pilgrim an unprecedented access. It was as if a new day had dawned for pilgrims and their churches, and for many other religious, economic, social and intellectual currents.

Claude Andrault-Schmitt, The bell-tower porch : an echo or a prelude of the chevet ?

The bell-tower of the Romanesque abbey church of St Martial is a structure for which neither excavations nor archaeological soundings have revealed vestiges. The readings of old drawings cannot thus be improved. This colloquium gives us the opportunity to pose once again the main questions, in light of our new certainties concerning the great work-site in the early eleventh century and strategies of construction. Did the ambulatory and bell-tower augment the Carolingian church at its two extremities, as was often the case ? It will be remembered that the form of the ambulatory and radiating chapels is not unknown at that time in the Limousin, nor are bell-towers, as the attested by the precocity of the

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