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BM 167-1 2009

Saint-Martin-des-Champs et la genèse de l’art gothique

ARTICLES

- Le chevet de Saint-Martin-des-Champs à Paris : incunable de l’architecture gothique et temple de l’oraison clunisienne, par Philippe Plagnieux
- La sculpture architecturale du chevet de Saint-Martin-des-Champs. Critique d’authenticité et marche du chantier, par Danielle V. Johnson et François Heber-Suffrin

ACTUALITÉ

- Aveyron. Saint-Geniez-d’Olt. Église de l’ancien couvent des Augustins : le retable anversois de l’Adoration des Mages dans la « chapelle des Pénitents » (Sophie Guillot de Suduiraut et Jeanne Cassier)
- Paris. Une maison du XIIIe siècle au n° 11 de la rue du Renard (4e arrondissement) (Bénédicte Perfumo) Vienne. Cenon-sur-Vienne. Chapiteaux découverts dans le lit du Clain (Anne Flammin et Jean-François Mariotti)

CHRONIQUE

- Sources. Écriture et mémoire (Ier-XIIIe siècle) (Dominique Hervier). — Une source inédite pour l’art roman : l’histoire de la construction de l’église Saint-Nicolas de La Chaize-le-Vicomte (Vendée) entre 1091 et 1099 (Claude Andrault-Schmitt)
- Iconographie. Le sarcophage d’Agilbert dans les cryptes de Jouarre (Seine-et-Marne) (Jean-Pierre Caillet). — Le Jugement dernier de Saint-Basile d’Étampes (Yves Christe). — Ivoires des XIVe et XVe siècles du musée d’art et d’histoire de Genève (Dominique Hervier).
- Archéologie urbaine. Forum Urbes Medii Aevi (FUMA) (Pierre Garrigou Granchamp)

BIBLIOGRAPHIE

- Architecture religieuse médiévale. Jean-Philippe Meyer, Voûtes romanes. Architecture religieuse en Alsace, de l’an mil au début du XIIIe siècle (Éliane Vergnolle). — Jean-Bernard de Vaivre, Philippe Plagnieux (dir.), L’art gothique en Chypre (Isabelle Isnard). — Sabine Lepsky et Norbert Nußbaum, Gotische Konstruktion und Baupraxis an der Zisterzienserkirche Altenberg. Band 1. Die Choranlage (Markus Schlicht). — Markus Schlicht, Un chantier majeur de la fin du Moyen Âge. La cathédrale de Rouen vers 1300. Portail des Libraires, portail de la Calende, chapelle de la Vierge (Yves Gallet). — Élisabeth Lorans (dir.), Saint-Mexme de Chinon, Ve-XXe siècle (Brigitte Boissavit-Camus)
- Architecture urbaine. Bernard Sournia, Jean-Louis Vayssettes, Villeneuve-lès-Avignon. Histoire artistique et monumentale d’une villégiature pontificale (Pierre Garrigou Grandchamp). — Monique Fontannaz, La ville de Moudon ; David Martin & Barbara Martin, New Winchelsea, Sussex : a Medieval Port Town ; Przemysław Paul Zalewski, Bau geschichte einer Handwerkerstadt im hessisch-fränkisch-thüringischen Grenz land. Stadtgefüge und Baukonstruktionen der Stadt Schmalkalden vom 13. bis zum 18. Jahrhundert ; Adrian Van Drunen, ‘s-Hertogenbosch van straet tot stroom (Pierre Garrigou Grandchamp)
- Sculpture. Évelyne Proust, La sculpture romane en Bas-Limousin. Un domaine original du grand art languedocien (Éliane Vergnolle). —Xavier Dectot, Pierres tombales médiévales. Sculptures de l’au-delà (Anne Embs)
- Manuscrits. Laurence Rivière-Ciavaldini, Imaginaires de l’Apocalypse. Pouvoir et spiritualité dans l’art gothique européen (Anne-Marie Barbier)

RÉSUMÉS ANALYTIQUES

Le chevet de Saint-Martin-des-Champs à Paris : incunable de l’architecture gothique et temple de l’oraison clunisienne, par Philippe Plagnieux

Mis en chantier un peu avant 1135, le chevet du prieuré clunisien de Saint-Martin-des-Champs, à Paris, est sans conteste l’un des monuments fondateurs du nouvel art de bâtir gothique ; de surcroît, son plan a inspiré l’abbatiale de Suger. Toutefois, la connaissance de l’édifice n’a guère été renouvelée depuis l’étude d’E. Lefèvre-Pontalis, parue en 1886, alors que, depuis une quarantaine d’années, l’approche de la première architecture gothique a été profondément renouvelée. Aussi ignorait-on l’importance et la signification de l’édifice qui constitue pourtant l’une des expériences les plus originales dans l’histoire des chevets à déambulatoire. Avec ses sept chapelles rayonnantes jointives, le parti apparaît, en effet, comme un prototype des grands chevets gothiques bien qu’il soit demeuré sans postérité directe, en raison d’un programme trop spécifiquement plié à la volonté du maître d’ouvrage. Probablement convient-il d’attribuer ce projet au prieur Thibaud II, futur évêque de Paris, mais certainement aussi, comme le montre l’étude, au cardinal et légat pontifical Mathieu d’Albano, le plus proche ami de Pierre le Vénérable et, surtout, le défenseur le plus acharné de la tradition monastique face aux Cisterciens. Aussi, le plan du chevet, à double déambulatoire et sept chapelles rayonnantes tangentes ouvertes les unes sur les autres, fut-il conçu de façon à favoriser les solennités liturgiques telles qu’elles étaient pratiquées par les moines de Cluny. Par ailleurs, la conception de l’édifice privilégie l’immense chapelle d’axe tréflée dédiée à la Vierge dont le culte revêtait une importance fondamentale chez les clunisiens. Quant au luxuriant décor, notamment les chapiteaux à enroulements de rinceaux inspirés de l’enluminure, il témoigne d’une prise de position esthétique à contre-courant des mouvements réformateurs.

La sculpture architecturale du chevet de Saint-Martin-des-Champs. Critique d’authenticité et marche du chantier, par Danielle V. Johnsonet François Heber-Suffrin

La dernière restauration (1998-1999) de la priorale Saint-Martin-des-Champs a rendu possible l’étude approfondie de son ornementation sculptée que la rénovation des XIXe et XXe siècles avait rendue suspecte. Une analyse scientifique des matériaux a permis de fonder une critique d’authenticité à la suite de laquelle il est apparu que plus de 180 chapiteaux étaient anciens et qu’il subsistait assez de témoins des autres types de décors (bandeaux, modillons et têtes insérées dans la voûte) pour entreprendre une synthèse à ce sujet. La rapidité avec laquelle fut érigé le nouveau chevet, vers 1130-1135, témoigne de la mutation de la sculpture architecturale durant cette brève période : du répertoire traditionnel des arcatures basses au foisonnement décoratif des chapiteaux recevant les ogives de la chapelle axiale. Cette rapidité d’exécution explique sans doute la qualité inégale des ateliers de sculpteurs et, tout en permettant de suivre assez précisément la chronologie des travaux, témoigne de certaines hésitations ou repentirs des constructeurs dans l’exécution d’un projet complexe. Bien que cette sculpture s’inscrive comme l’architecture dans le processus de naissance du premier art gothique à Paris, les véritables nouveautés n’apparaissent guère que dans l’abside, lors de l’achèvement du chevet. Le répertoire, essentiellement végétal et animalier, reste encore très marqué par l’esthétique romane, sur la base notamment de modèles enluminés. Avec Saint-Pierre de Montmartre et Saint-Denis (avant-nef ), Saint-Martin apparaît comme un des premiers témoins, sinon le plus ancien, de la naissance de la sculpture architecturale gothique en Île-de-France.

ENGLISH SUMMARIES
(Traduction Patricia Stirnemann)

The chevet of Saint-Martin-des-Champs in Paris : incunable of Gothic architecture and Cluniac temple of prayer, by Philippe Plagnieux

Begun in 1135, the chevet of the Cluniac priory of Saint-Martin-des-Champs in Paris is undeniably one of the founding monuments of the new art of Gothic construction ; moreover, its plan inspired the abbey church of Suger. Knowledge of the edifice, however, has scarcely been renewed since the study in 1886 of E. Lefèvre-Pontalis, whereas in the last forty years, the approach to early Gothic architecture has been profoundly renewed. Thus the importance and meaning of one of the most original experiments in the history of the chevet-with-ambulatory remains unknown. With its seven conjoined radiating chapels, it looks like a prototype for the great Gothic chevets, although it had no direct posterity because its programme was too specifically moulded to the wishes of the architect. The project is probably that of the prior Thibaud II, future bishop of Paris but, as the study shows, it is certainly also that of the cardinal and pontifical legate Mathieu d’Albano, the closest friend of Pierre le Vénérable and ardent defender of the monastic tradition in the face of the rising Cistercians. The plan of the chevet, with a double ambulatory and seven tangent radiating chapels opening onto each other, was conceived to accommodate liturgical rites as they were practiced by the monks of Cluny. The conception of the edifice favours the immense trefoil axial chapel dedicated to the Virgin, whose cult was of fundamental importance among the Cluniacs. The luxurious decoration of the capitals with rinceaux, inspired by manuscript illumination, is witness to an aesthetic position in opposition to that of the reforming movements.

The architectural sculpture of the chevet of Saint-Martin-des-Champs. Authenticity and chronology, by Danielle V. Johnson et François Heber-Suffrin

The latest restoration (1998-1999) of the priory church of Saint-Martin-des-Champs made possible an in-depth study of the sculptural decoration, which nineteenth and twentieth-century restorations had rendered suspicious. Scientific analysis of the materials used provided the necessary criteria for authentication of more than 180 capitals as original. There remained enough examples of other types of decoration (bands, modillons, and heads inserted in the vault) to warrant a synthetic study of the subject. Erected rapidly around 1130-1135, the new chevet is a witness to the mutation of architectural sculpture in this brief period, from the traditional repertory of the low arcades to the lively decoration of the capitals of the ogee arches in the axial chapel. The speed of execution no doubt explains the uneven quality of the workmanship and, while allowing one to track rather precisely the chronology of the works, testifies to certain hesitations or second thoughts on the part of the builders in the elaboration of a complex project. While the sculpture, like the architecture, fits within the process of the emerging « first Gothic » art in Paris, the truly novel aspects appear only in the apse, as the chevet is being finished. The repertory, essentially floral and animal, is still marked by a Romanesque aesthetic, based largely on models from manuscript illumination. With Saint-Pierre de Montmartre and Saint-Denis (narthex), Saint-Martin is one of the first, if not the earliest, witnesses to the birth of Gothic architectural sculpture in the Île-de-France.

DEUTSCHE ZUSAMMENFASSUNG
(Traduction Andreas Curtius)

Der Chor von Saint-Martin-des-Champs in Paris : Inkunabel der gotischen Architektur und Tempel cluniazensischer Anbetung, von Philippe Plagnieux

Der kurz vor 1135 begonnene Chor der Cluniazenserprioratskirche Saint-Martin-des-Champs in Paris ist unbestritten einer der Gründungsbauten der neuen Kunst, gotisch zu bauen ; obendrein hat ihr Grundriss die Abteikirche von Suger in Saint-Denis angeregt. Dennoch ist die Kenntnis des Bauwerks kaum vertieft worden seit der 1886 erschienenen Studie von Eugène Lefèvre-Pontalis, während sich andererseits in den letzten vierzig Jahren der Zugang zur frühgotischen Architektur fundamental gewandelt hat. Auch hat man den Rang und die Bedeutung des Gebäudes ignoriert, das doch eines der originellsten Experimente in der Geschichte des Umgangschores darstellt. Mit seinen sieben sich berührenden Radialkapellen erscheint die Anlage tatsächlich wie ein Prototyp der großen gotischen Chöre, obwohl sie ohne direkte Nachfolge geblieben ist, aufgrund eines zu spezifisch dem Willen des Bauherren unterworfenen Programms. Wahrscheinlich muss man dieses Projekt dem Prior Thibaud II. zuschreiben, dem künftigen Bischof von Paris, aber sicherlich auch, wie die Studie zeigt, dem Kardinal und päpstlichen Legaten Mathias von Albano, dem engsten Freund von Petrus Venerabilis und vor allem dem heftigsten Verteidiger der monastischen Tradition gegen die Zisterzienser. Außerdem wurde der Grundriss des Chores mit doppeltem Umgang und sieben sich tangierenden Radialkapellen, die zueinander geöffnet sind, dafür konzipiert, die liturgischen Feierlichkeiten, wie sie von den Mönchen von Cluny praktiziert wurden, zu ermöglichen. Andererseits hebt die Konzeption des Gebäudes die immense, kleeblattförmige Axialkapelle hervor, die der Jungfrau Maria geweiht war, deren Kult bei den Cluniazensern eine zentrale Rolle spielte. Was den luxuriösen Dekor, vor allem die Kapitelle mit sich einrollenden Ranken, die von der Buchmalerei inspiriert sind, anbelangt, zeugt dieser von einer ästhetischen Parteinahme gegen die Strömung der Klosterreformbewegungen.

Die Bauskulptur des Chores von Saint-Martin-des-Champs. Erhaltungszustand und Baufolge, von Danielle V. Johnson und François Heber-Suffrin

Die letzte Restaurierung (1998-1999) der Prioratskirche Saint-Martin-des-Champs ermöglichte ein vertieftes Studium ihrer skulpturalen Bauzier, die die Renovierungen des 19. und 20. Jahrhunderts in Verruf gebracht hatten. Eine naturwissenschaftliche Materialanalyse ermöglichte eine Authentizitätsprüfung, durch die deutlich wurde, dass mehr als 180 Kapitelle alt waren, und dass genügend Zeugnisse der anderen Arten von Dekorationen (Friese, Gesimse und ins Gewölbe eingefügte Köpfe) übrig geblieben waren, um eine Synthese darüber vornehmen zu können. Die Schnelligkeit, mit der der neue Chor gegen 1130-1135 errichtet wurde, zeugt von dem Wandel der Bauskulptur in dieser kurzen Periode : vom traditionellen Repertoire der unteren Arkatur bis zum dekorativen Überfluss der Kapitelle, die die Kreuzrippen der Axialkapelle stützen. Diese Schnelligkeit der Ausführung erklärt zweifellos die unterschiedliche Qualität der Bildhauerwerkstätten, und während sich die Chronologie der Arbeiten recht genau verfolgen lässt, zeugt sie auch von gewissen Verzögerungen oder Änderungen der Erbauer während der Ausführung eines komplexen Projektes. Obwohl diese Skulptur sich wie die Architektur in den Prozess der Entstehung der Pariser Frühgotik einfügt, erscheinen die wirklichen Neuerungen erst in der Apsis, bei der Fertigstellung des Chores. Das hauptsächlich pflanzliche und tierische Repertoire ist noch sehr von der romanischen Ästhetik geprägt, namentlich vom Vorbild der Buchmalerei. Gemeinsam mit Saint-Pierre de Montmartre und dem Vorschiff von Saint-Denis erscheint Saint-Martin als eines der ersten Zeugnisse, wenn nicht das erste überhaupt, der Geburt der gotischen Bauplastik in der Ile-de-France.

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